Le blog de J-C Dardart

Ceci n'est pas un blog !

Zelda : infans, Oedipe et filiation

Rédigé par J-C Dardart 7 commentaires

La longue série de jeux vidéo estampillés The Legend of Zelda fait partie de ce qu'il convient d'appeler un "classique du genre". Série emblématique du savoir faire de Nintendo en la personne de Shigeru Miyamoto (père également de Mario et bien d'autres), chaque épisode dépeint les aventures d'un personnage qui ne parle pas : Link. C'est en me demandant pourquoi Miyamoto ne lui avait jamais donné la parole que m'est venu l'idée d'écrire cet article.

Avant de commencer précisons que lors d'une analyse d'une œuvre, il est important de partir du principe que les places et les fonctions de ses différents éléments ne sont pas figés de façon univoque. Par exemple un personnage peut renvoyer à plusieurs fonctions et inversement une fonction se décliner dans plusieurs éléments.

Jardin d'enfance et exploration

Si Miyamoto a donné la parole à Mario, à Fox Mcloud et bien d'autres, il faut dire qu'en revanche ce n'est pas le cas de Link. Si Mario grâce à la technique a pu enfin nous dire "hey, it's me ! MARIIIOO !", Link quant à lui a bien bénéficié d'un lifting graphique mais point de langage. Des cris, oui mais des mots, non. Link serait-il muet ? Ce mutisme serait-il une manière de ne pas donner trop de personnalité à un héros auquel le joueur doit s'identifier ? En effet, régulièrement dans les jeux vidéo un personnage qu'on contrôle ne parle pas afin qu'on puisse s' y identifier plus facilement. Mais Miyamoto a bien fait parlé Mario, un héros tout aussi emblématique, si ce n'est plus, que Link. Pourquoi cette différence ? Et difficile de croire que c'est purement arbitraire venant justement d'un créateur aussi méticuleux que Miyamoto, lui qui ne laisse rien au hasard.

C'est ainsi que je me suis dit que peut-être l'auteur à voulu qu'on incarne un héros qui serait bloqué au stade de l'infans, c'est à dire le stade où le petit enfant ne parle pas encore. Le but ne serait-il pas de nous faire ressentir de nouveau la paradis perdu de l'enfance ?

C'est ce que nous porte à croire la façon même dont se joue ce jeu. Dans Zelda on explore de nouvelles zones : on découvre le monde. Selon l'article consacré au jeu de l'édition française de Wikipedia, Miyamoto se serait inspiré de l'exploration du jardin de son enfance pour créer son jeu :

The Legend of Zelda a principalement été inspiré à Shigeru Miyamoto par ses promenades dans la campagne environnant sa maison d'enfance à Kyoto3, où il a vu des forêts, des lacs, des grottes et des villages campagnards. Selon Miyamoto, une des expériences les plus mémorables fut la découverte d'une caverne au milieu des bois. Après avoir un peu hésité, il est entré dans la caverne et l'a explorée à l'aide d'une lanterne. Ce souvenir a clairement influencé le travail de Miyamoto, car l'exploration de cavernes est une partie importante des Zelda.

Miyamoto aurait voulu nous faire vivre et ressentir par l'acte du jeu ses propres souvenirs d'enfances. Ce n'est pas seulement la cas des jeux Zelda, d'ailleurs, puisque Miyamoto assume clairement le statut de jouet pour les consoles Nintendo. Par exemple, on apprend dans cette interview que la consoles 3DS est une machine qu'il aurait aimé avoir petit. Une des raisons des succès de ce créateur proviendrait sans doute de sa capacité à puiser dans son enfance : être à l'écoute de l'enfant qui continue à vivre en lui. Les jeux Nintendo parleraient aussi aux adultes qui renouent avec leur Moi infantile le temps d'un jeu.

Cette thématique de l'infantile comme trace de l'enfant qui continue de vivre chez l'adulte se retrouve aussi dans la série des Zelda. Link demeure inchangé malgré les ages et les épisodes : qu'il soit sous l'apparence d'enfant ou de jeune homme il reste cet infans qui ne parle pas mais qui explore et découvre un monde fantastique. Autre exemple, qu'il soit adulte ou enfant Link découvre toujours le contenu des coffres avec la même joie brandissant fièrement son contenu tel un enfant ouvrant un cadeau de noël. Cette façon de découvrir des nouveaux "cadeaux" est d'ailleurs un des codes typique du jeu comme en témoigne la parodie suivante (or on parodie souvent les codes les plus typiques d'une œuvre) :

Lorsqu'on parle de Moi infantile, le complexe d'œdipe n'est jamais très loin. Ne nous étonnons donc pas de retrouver une thématique oedipien au cœur de ce jeu.

Le triangle oedipien

Au cœur de l'histoire de la plupart des épisodes de la légende Zelda il y a une triangulation : Link le héros, Zelda, la princesse et Ganon ou Ganondorf (selon qu'il soit sous forme animale ou humaine), le grand ennemi. Pour des raisons de pouvoirs Ganon enlève Zelda. En effet, Ganon est cet être assoiffé de pouvoir où l'autre n'est là que pour servir son ambition. C'est alors à Link de délivrer la princesse Zelda dont la mort signerait la fin du monde ou le triomphe de Ganon ce qui dans l'univers du jeu revient au même. Si le rival gagne c'est la fin du monde en sommes. Nous voyons bien là un triangle Oedipien où il y a un enfant (quelque soit son âge) qui doit tuer celui qui est plus puissant et qui vient le séparer de l'objet de sa quête. Ici le désir de retrouver Zelda nait du fait que Ganon l'enlève. Dans cette configuration l'interdit poser par Ganon crée le désir. Ce n'est pas Link qui désirerait Zelda en premier mais la présence du tiers séparateur qui serait a source de la quête. De plus, Ni zelda, ni Link et encore moins Ganon ne sont de la même famille. Sans oublier que la quête de notre héros n'est pas un désir égoïste de posséder sa mère mais de sauver le monde en sauvant Zelda. C'est pour cela que nous pouvons émettre les choses que sous formes d'hypothèses en partant du principe que c'est un Oedipe déformé un peu comme s'il s'agissait d'un contenu manifeste dont la traduction révélerait le contenu latent (le sens véritable) comme dans la cas de l'interprétation freudienne des rêves. Tous ceci ayant pour limite le fait que, premièrement, toute interprétation reste une lecture et surtout elle n'émane pas d'un dispositif thérapeutique en présence du patient. L'avantage du complexe d'Oedipe étant pour nous de rapporter la triangulation (dont la Triforce est le symbole) des jeux de la saga Zelda à l'expérience psychique infantile inconsciente. En effet nous sommes très proche du monde de la petite enfance dans cet Univers de Shigeru Miyamoto, Or le complexe d'œdipe en est un des moments cruciaux.

La Tri-force qui symbolise à lui tout seul toute la série est un triangle, lui même composé de 3 triangles et dont la lumière formée par ces mêmes 3 triangle laisse deviner aussi un triangle central. Chacun des 3 triangles symbolisent une valeur et un personnage. La Tri-force de la sagesse appartient à Zelda, la Tri-force de la force à Ganon et celle du courage à Link. Une fois ces trois parties réunies, la Tri-force est complète et permet d'avoir son souhait exaucé. Ainsi Ganon veut s'emparer de la Tri-force pour ses propres ambitions, alors que Link veut l'utiliser pour sauver le monde.

Si Ganon représente l'égoïsme, la puissance et le rival séparateur. Il incarne aussi la figure du Père d'un père tout puissant. Il échappe en effet à la mort à chaque fois : si nous avons affaire dans chaque épisodes à des descendants de Link et de Zelda, Ganon quant à lui, demeure le même Ganon qui vient hanter en quelques sortes la filiation des Link et des Zelda. Il ne transmet pas sa Tri-force, il la garde pour lui car il revient. Il échappe à la loi de la plus grande castration : la mort. D'ailleurs il est à l'origine le Roi d'un peuple composé que de femmes : les Gerudos. Chez les Gerudos il ne nait qu'un individu mal tous les 100 ans qui est automatiquement désigné comme Roi. Régnant en seul homme sur toutes ces femmes et échappant à la castration, il partage ceci de commun avec le père de la horde primitive de Totem et Tabou (Freud, 1911). Cet coté "primitif" se symbolisant aussi dans la dualité homme/animal du personnage. Si au début Ganondorf est un humain, il va finir par devenir une bête du nom de Ganon grâce à sa Tri-force.

De ce point de vue il correspond au père Imaginaire dans la théorie lacanienne. Mais le père a aussi une fonction symbolique : celui de donner un nom, d'engendrer une filiation et de transmettre. Et cette fonction va s'incarner en Link et Zelda.

La filiation des Links

D'épisodes en épisode on joue un personnage qui s'appelle "Link" ce n'est jamais le même contrairement à Ganon/Ganondorf mais l'un des Héros descendants d'un Héros de la légende. Les Links sont chacun membre d'une filiation de héros héritiers de la Tri-force du courage et utilisateur de l'épée sacrée Excalibur destinée aux Links. Il ne vous aura, sans doute, pas échapper que "link" signifie en anglais "lien", "liaison" ou encore "chaînon" etc. Si selon certains ce nom a été choisi pour symboliser le lien entre le joueur et le personnage via la manette, force est de constater qu'il correspond très bien à cet aspect transgénérationnel du personnage. Link pourrait presque être un nom de famille vu qu'il ne porte rien d'autre. Comment savoir si c'est un nom ou un prénom puisqu'il n'y rien devant ni derrière. D'autant plus que ce signifiant est commun à toute la filiation. Or c'est plus la caractéristique d'un nom de famille que d'un prénom. Cette fonction de faire lien par le nom et la transmission correspond à la fonction symbolique du père. Or ce nom qui lie la chaine des Links signifie justement "lien". Ainsi "Link" désigne à la fois le personnage qu'on joue, sa filiation et la fonction de ce nom.

D'un autre point de vue on pourrait se demander si ce "Link" ne vient pas également signifier le lien comme ce qui emprisonne, par exemple dans le cas de mains qui seraient attachées entre elles. Autrement dit, une chaine de héros qui seraient enchainés à un même destin qui ne cesse de se répéter. Ici, "Link" serait le signifiant désignant les chaines de prisonniers du héros. Esclaves d'une scène qui se répète de père en fils, ils ne pourraient qu'être dénommés de ce nom les renvoyant à leurs propres chaines. Si à chaque fois un Link sauve le monde et la princesse, aucun ne parvient à libérer ses descendants d'un destin qui va se répéter presque à l'identique. La survie de Ganon est la cause de cet échec. Ganon serait de ce fait le symptôme transgénérationnel de la filiation des Links. L'échec de sa destruction définitive se transmettant de père en fils. Ainsi ce qui est commun à chaque Link c'est aussi ce symptôme persistant qui se nomme Ganon. C'est toujours le même Ganon car c'est toujours le même symptôme.

Mais le jeu vidéo n'est pas qu'une histoire ou un univers mais un acte celui de jouer. L'univers d'un jeu vidéo existe, se déploie et se découvre par son exploration et l'interaction avec les différents objets de cet univers. Autrement c'est dans l'acte de jouer que le récit se met en œuvre.

la filiation et l'œdipe dans le gameplay

Ainsi, on retrouve dans la façon même dont on peut jouer, cette filiation et le désir Oedipien. Le gameplay décrit à la fois les contraintes, les libertés, les obligations, les possibilités, le façon d'interagir avec les objets et les règles etc. Plus précisément le gameplay peut se penser comme la tension entre contrainte et liberté, comme l'explique Sébastien Genvo :

[...] la Tension entre liberté d'action (play) et règles strictes (game) est primordiale dans l'intérêt que suscite un jeu. Selon nous, un rapport équilibré entre ces deux notions induit alors un bon "gameplay".
GENVO S. "l'expression vidéoludique" in GENVO S. (sous la dir.) in Le game design de jeux vidéo : Approches de l'expression vidéoludique, p.11.

Or les différents épisodes de Zelda ont un équilibre remarquable de ces 2 pôles. En effet, La réalisation des différents objectifs fait gagner à Link la possibilité d'explorer davantage de territoires et lui offre de nouvelles libertés. Les progrès de Link se mesure à son équipement et aux zones qu'il peut visiter. Contrairement à un jeu linéaire où l'on va toujours de l'avant sans se retourner, dans Zelda on fait constamment des retours vers des zones inexplorées. Par exemple le fait d'obtenir le grappin permet d'atteindre une zone du début de jeu qui nous était autrefois inaccessible. Ainsi, régulièrement le joueur voit devant lui une zone qui lui est interdite jusqu'à qu'il obtienne plus tard la capacité d'y aller. Cette capacité est un objet (grappin, boomerang etc.) qui se gagne en explorant un donjon avec à la clé un affrontement contre un ennemi plus puissants que les autres. Tuer ce gardien appelé "Boss" dans le jargon des joueurs permet à la fois de sortir du donjon, d'obtenir un objet clé pour le déroulement de l'intrigue mais aussi de mettre à contribution son nouvel objet car la méthode pour tuer ce "boss" fait appel à lui. La zone interdite devient accessible suite à plusieurs meurtres. Le gameplay est en ceci Œdipien car il met en tension un interdit qui ne se lève qu'au fruit d'un meurtre. D'un autre coté cela reste un œdipe déformé car le désir et le meurtre ne portent pas sur un tabou mais sur quelque chose qui est justifié par le scénario : on tue des "méchants" en sommes.

Si à chaque fois on retrouve un des chainons de la filiation des links, ce sentiment de familiarité se ressent aussi dans le gameplay en lui-même. Malgré une différence de jouabilité entre les épisodes 2D et les épisodes 3D, force est de constater qu'un Zelda se joue de la même manière d'un épisode à l'autre. Un grand nombre de mécaniques de jeux se retrouvent tout au long de la saga (du moins entre épisodes de même dimensions, c'est à dire entre épisodes 2D et entre épisodes 3D), sans pour autant lasser car chaque épisode a au moins une mécanique de jeu qui lui est propre (ex : se transformer en loup dans Zelda the Twillight Princess). Cet équilibre entre changement et continuation engendre une filiation de jeu d'une même descendance mais ayant chacun quelque chose d'unique. Une des réussite de cette série est de réussir de créer une cohérence entre le personnage de Link qu'on incarne, l'univers et le gameplay. La façon dont on peut jouer avec Link étant intrinsèquement liée au personnage même de Link.

Zelda et l'ordre symbolique

Bien que la série se nomme "Zelda" nous n'avons pas encore parlé de la princesse Zelda qui justifie la quête de Link puisque Ganon l'enlève pour utiliser ses pouvoirs. Bien plus qu'une simple princesse à délivrer, elle représente dans la saga le personnage le plus complexe mais aussi le plus adulte. En tant qu'héritière royale et détentrice de la Tri-force de la sagesse, ceci n'a rien d'étonnant.

Cette princesse est finalement le seul membre du triangle qui accède complétement au symbolique car elle est à la fois dans une chaîne de filiation et de transmission (nous avons affaire à chaque fois à une héritière d'une princesse Zelda précédente) contrairement à Ganon qui reste toujours le même, mais elle est aussi dans le langage puisqu'elle parle contrairement à Link.

Elle symbolise également la seule faculté intellectuelle de la Tri-force : la sagesse. Décrite comme calme, posée et réfléchie, c'est souvent elle qui détient les connaissances qui vont guider Link dans sa quête. De ce point de vue on peut considérer Link comme son bras armé. Elle est la tête et lui les jambes si l'on peut dire. Mais cela ne l'empêche pas au fil des épisodes de prendre part au combat et de montrer ses aptitudes guerrières.

Bien qu'ayant toujours presque la même apparence, le même nom et statut et ce faisant à chaque fois enlever, la façon dont elle intervient, réagit dans la saga varie plus que les deux autres personnages. Moins figée, elle est finalement la vraie héroïne de la saga dans le sens où elle est la seule qui évolue vraiment. Le jeu ne s'appellerait donc pas "Zelda" pour rien ?

7 commentaires

Écrire un commentaire

Quelle est la première lettre du mot dmkp ?

Fil RSS des commentaires de cet article