Les Secrets de familles de Serge Tisseron
Rédigé par J-C Dardart 2 commentairesSerge Tisseron vient de publier un Que sais-je ? intitulé "Les Secrets de Famille" édité chez PUF. Sujet que l'auteur à déjà abordé dans Secrets de Famille : mode d'emploi. De fait, l'on pourra se demander quel est l'intérêt de ce nouvel ouvrage puisque comme lui il propose une synthèse succincte de la question.
Dans l'introduction Serge Tisseron répond à cette question en précisant que depuis les quinze ans qui ont séparés les deux livres des angles nouveaux sont apparus et qu'il synthétise dans ce nouvel ouvrage à la fois clair, accessible et agréable à lire, notamment grâce à de nombreuses vignettes cliniques et des références au cinéma et à littérature. Si c'est une porte d'entrée réussie pour aborder la question des Secrets de familles, du transgénérationnel ou encore les travaux de Nicolas Abraham et Maria Torock sur la notion de crypte et de fantôme, on est quelque peu frustré de voir certains aspects pas suffisamment développés. Mais c'est ce qui confère justement à l'exercice d'une synthèse de ne pas aborder un aspect particulier de façon exhaustive mais plutôt de donner une vue d'ensemble : une compréhension globale et transversale de la thématique. En sommes, ce Que sais-je ? Consiste à commenter et expliciter la citation suivante (p.14) :
Le secret « ricoche » entre les générations un peu comme un caillou plat lancé parallèlement à une surface d'eau rebondit en dessinant à chaque fois des figures différentes, jusqu'à disparaitre totalement après quelques impacts. Il y en a en général, deux ou trois et nous verrons que c'est aussi souvent le nombre de générations concernées par les ricochets d'un secret.
Mais dans cet article nous n'allons pas résumer une synthèse (ce qui serait une redondance assez peu pertinente) mais davantage nous centrer sur deux aspects effleurés par l'ouvrage mais qui ont mérités tout notre attention car ils mettent l'accent sur le lien entre le Secret de famille et la société.
Ce premier aspect concerne l'ambivalence des monuments (pp. 95-98). En effet, Serge Tisseron développe l'idée que lorsqu'un monument autour d'un évènement douloureux de l'histoire est construit, celui-ci risque d'imposer un silence. Il parle de «puissance négative d'oubli » (p. 96) pour designer le fait qu'en commémorant l'aspect collectif (et nous dirions également « officiel ») d'un évènement douloureux de l'histoire, nous prenons le risque de « rejeter dans un ghetto mental les souvenirs les plus personnels » (p. 96) car le monument privilégie ce qui fait lien dans le groupe. Cette « puissance positive de socialisation » (p. 96) est également le moyen nécessaire pour l'homme de se souvenir. Pour S. Tisseron la solution est familiale. Car elle permet de dépasser l'opposition suivante (pp. 96-97):
une mémoire collective, intellectuelle et abstraite, à une mémoire individuelle concrète, mais solitaire, et pour cela condamnée au secret – c'est à dire au clivage …
L'auteur prend alors comme exemple la génération née après la seconde guerre mondiale en Allemagne qui fut prise entre le silence de leur parents et la mémoire officielle. La douleur pour les parents d'en parler créant ainsi un secret associée à une mémoire officielle évoquant les crimes Nazis réunirent alors les conditions typiques du Secret de famille. A savoir, face à la perception de cette douleur et de ce silence parental, les enfant eurent vite fait d'imaginer ceux-ci en train de cacher des actes atroces bien pires que la réalité. Dans tout Secret familial l'enfant imagine une vérité plus terrible que la réalité cachée. La mémoire familiale serait alors un moyen remettre les pendules à l'heure pour que chacun puisse accéder à son histoire (pp. 97-98).
Commentons. Cette réflexion sur le monument montre le rôle du social dans la constitution de Secret de famille : s'il y a douleur et honte à l'endroit même où la société condamne comme il est expliqué tout au long du livre (par ex : un enfant illégitime ou une mère célibataire très mal vu à une époque), cette même société, par l'histoire qu'elle veut ne pas faire oublier, à travers, par exemple, un monument, fournie également les éléments à partir desquels, l'enfant va construire une vérité pire que la réalité. Cela démontre qu'une histoire collective n'est pas une histoire familiale et que si le sujet doit réussir à se situer dans sa famille puis dans la société, il ne le peut que s'il arrive à situer sa famille dans l'histoire de cette société. Le problème n'étant plus alors de porter une douleur mais de l'attribuer à une cause imaginaire plus horrible que la réalité.
Le devoir de mémoire familiale autour des événements douloureux de l'histoire est la clé d'une vérité historique que ne se réduit pas à une mémoire des événements et des faits.
En conclusion de l'ouvrage, l'auteur ouvre une piste de réflexion sur la façon dont internet modifie les secrets qui mériterait d'avantage de développement. En effet, il donne deux exemple qui exigeraient des traitements différents car ils ne s'agit pas de la même choses dans les deux cas.
Dans sa première vignette, il évoque comment un homme découvre sur internet des informations sur la filmographie de son grand-père qui incluait des films de propagandes se rendant ainsi compte que ce qui était un secret dans sa famille était une information accessible sur internet. Mais quoi de plus publique qu'une filmographie ?
Dans le second exemple, des enfants découvre l'existence d'un demi-frère caché sur les photos du profil Facebook de leur père. Nous sommes ici en présence d'une problématique propre aux réseaux sociaux qui brouille la différence entre vie privée et vie publique. S'il est clair que rationnellement un profil Facebook est publique, l'ambiguïté est tout de même maintenue par le fait que l'on peut paramétrer la confidentialité de ses données. Ces paramètres sont régulièrement bouleversés par le fait qu'au fil du temps, nos contenus deviennent de plus en plus publique par défaut. Si les choses sont clair pour Mark Zuckerberg lui-même, le créateur de de Facebook ayant déclaré : « la vie privée ça n'existe plus », sur le site c'est par contre plus ambigüe.
Nous formulerons les choses ainsi : comment le « tout montrer » des réseaux dits sociaux" travail le « tout caché » du secret ? Là encore nous sommes dans un remaniement sociétal du Secret familial. La différence consiste en ce que ce n'est pas à un devoir de mémoire collective que nous avons affaire mais à l'utilisation d'un service reflet de la vision du monde de leur créateurs . Dans ce cas qu'est-il fait du secret s'il n'y a pas de vie privée ?
Ne tombons pas non plus dans le procès de Facebook mais gardons à l'esprit que ce brouillage entre la vie privée et la vie publique, qui selon nous serait l'expression d'un conflit entre la vision de M. Zuckerberg et le fait qu'il doive rassurer ses utilisateurs sur la maitrise de la confidentialité de leurs contenus, peut avoir une utilisation symptomatique inédite. Par symptôme nous entendons son sens freudien à savoir, le fruit d'un compromis entre un désir et son interdit. Or l'inconscient à cette fâcheuse tendance à profité de l'ambiguïté pour s'exprimer, par exemple dans les termes à double sens etc. Ainsi, on peut supposer que la part du sujet qui voudrait dire la vérité puisse profiter de l'ambiguïté cacher/montrer des réseaux sociaux pour s'exprimer. Une façon de faire savoir à l'autre sans en avoir l'air.
En complément :
Dossier de l’émission radio : "La tête au carré" (France Inter) sur les secrets de familles à l'occasion de la sortie du livre où Serge Tisseron a été invité:
» Écouter » Télécharger directement le .mp3 de l’émission