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Les 4 regards de Joe Yabuki

Rédigé par J-C Dardart 5 commentaires

Après une »présentation du jeune héros »d'Ashita no Joe, nous allons aborder un premier aspect psychanalytique, à savoir la question des regards du personnage. Ainsi, avant de commencer il me semble important de préciser ce qu'on entend par "regard" qui renvoie, comme vous l'aurez sans doute déjà deviné, à un ensemble de processus bien plus complexes que le seul dessin des yeux du personnage.

Le regard : un reflet en miroir de soi et du monde

En effet, le regard, seul, ne fait pas sens en lui-même. Un regard inclut une scène, ainsi qu'un autre regard qui vient donner une signification à ce regard. Ces trois composantes et leurs interactions définissent un complexe spéculaire que Jacques Lacan a théorisé comme ce qu'il appelle le "Stade du Miroir". En vérité, il y pas que 3 acteurs dans cette affaire, comme nous allons le voir.

Il y a différentes façon d'aborder le stade du miroir, je l'ai déjà abordé ici et ailleurs, et aujourd'hui c'est un autre aspect que j'aimerais mettre en avant. Pour cela, il va falloir s'aider du schéma L de Lacan.

A première vu ce schéma n'est pas très parlant et si l'on dit que parfois un dessin vaut mieux qu'un long discours, cette fois si, pour le coup c'est le discours qui va rendre explicite le dessin. Et ne vous inquiétez pas le discours ne sera pas non plus trop long. Premièrement, précisons les 4 points du schéma :

S ou ES : représente le sujet, celui du désir, celui qui parle et émet un discours. Il est clivé par le le conscient et l'inconscient, par le désir et son interdit. "Es" en allemand désigne le "ça" qui est l'instance de nos pulsions refoulées et enfuîtes. En un mot c'est le sujet de l'inconscient.

A, le grand Autre : est ce à quoi on s'adresse fondamentalement. Il est l'interlocuteur par excellence du sujet de l'inconscient. Il donne ainsi sens à nos dialogues intérieurs et extérieurs car ils sont en réalité adressés à lui. Cet Autre peut prendre de multiples visages : le père, la mère, Dieu ou même soi. En fait il est celui à qui on s'adresse en tant que l'on a intériorisé. L'interlocuteur interne de nos espoirs, désespoirs et discours. Une manière de résumer la fonction du grand Autre et de dire qu'il est celui à qui l'on veut faire entendre notre discours. Le schéma, montre un axe entre S et A qui se nomme axe symbolique, car il est celui du langage. Cet axe qui est celui de ce que le sujet adresse au grand Autre.

a, le Moi : Correspondant ou Moi freudien, le a désigne les identifications du sujet, ce qui inclut la façon dont il se voit et perçoit. C'est l'image que nous avons de nous même. Mais la perceptions de nous même ce fait toujours par rapport a quelque chose d'autre.

a', l'autre est le reflet du moi, un alter égo. à la fois double spéculaire du moi, il n'en demeure pas moins qu'un reflet, de quelque chose d'extérieur donc étranger au moi. Cette ambiguïté se retrouvera dans notre relation à autrui où l'on fera en lui ce qui est semblable ou l'inverse de nous, ce que nous voulons pas être, ce qu'on aimerait être etc. En fait ici se joue dans la relation aux autres des identifications internes qu'on veut renforcer ou oublier. Ainsi l'axe entre a-a' désignée comme axe imaginaire correspond à l'effet sur nous de le relation entre notre image et celle des autres. Par exemple ce qu'on voit de soi chez les autres et ce qu'on voit des autres, chez soi.

Ce schéma montre que le rapport du sujet à ce à quoi il s'adresse (le grand Autre) est barrée par l'axe imaginaire, à savoir la perception que nous avons de nous-même et des autres. Mais ces perceptions ne sont que reflet de l'un et l'autre. En sommes, ce qu'on adresse dans notre discours dépend de la façon dont on se place de l'axe imaginaire celui de la place qu'on donne à soi et ses semblables.

3 regards et 1 philosophie de la vie

Ainsi le regard de Joe dépend de ce qu'il regarde en tant qu'influencé par la perception qu'il a de lui dans ce monde. Il se positionne alors en fonction des 3 regards qu'il a sur le monde et les autres :

I -Le regard perdu

Lorsqu'il marche et qu'il est seul Joe regarde le monde qui l'entoure avec ce regard mélancolique si mystérieux, il semble à la fois distant et fuyant, tout en appréciant par moment ce qu'il voit. Ces moments sont surtout présents lorsqu'il est seul et apaisé. Pensif , il reste silencieux : le spectateur se demandant alors à quoi, il semble réfléchir. Il a par moment un léger sourire. Ce positionnement dans la solitude semble être des moments d'introspections. Songerait-il à un objet perdu ?

II -La haine des adultes

Le regard de haine : Joe a une vision radicalement pessimistes des adultes. Pour lui ils sont mauvais, intéressés et hypocrites. Aucun d'entre eux n'échappe à son implacable loi. Tout les adultes sont corrompus. Ils cristallisent tout ce à quoi il ne croit plus, orphelin, il a toujours considéré les adultes comme une menace. Fondamentalement abandonné par les grandes personnes, il n'en voit que la défaillance. Joe préfère compter que sur lui-même. De toute façon les adulte ne le voient que comme un bon a rien, et lui le leur rend bien en ne voyant que du mauvais en eux.

III -La douceur de l'enfance

Une seule innocence : les enfants. Le regard de Joe ne s'adoucit que pour les enfants. Bien qu'il aime se moquer d'eux et les taquiner, il aime passer du temps et jouer avec eux. Il n'hésite pas non plus par moment à les manipuler et à lesentrainer dans ses méfaits. Mais ceci a pour but de les éloigner des adultes et les inviter à la révolte. Il expose régulièrement au groupe d'enfants du bidon-ville sa vision cynique des adultes. Les enfants représentent l'enfance perdu de Joe qui a toujours dû se débrouiller seul et se battre. Enfant errant et survivant, Joe voit dans le groupe des enfants qui le suivent partout, un paradis perdu qu'il n'a sans doute jamais lui-même connu. Sa nostalgie ne pouvant alors se reporter qu'à un objet d'autant plus perdu qu'il est purement imaginaire ou fantasmatique. De plus l'admiration et l'amour qu'ils portent à Joe, donne à voir une facette de lui plus joyeuse et douce. Dans ces moments là, difficile de le voir comme un adolescent violent au poing redoutable. Son comportement avec les enfants est aux antipodes de son comportements avec les adultes.

Avec un tel point de vue sur les adultes on peut aisément comprendre que le vieil Dampei Tange, va avoir un mal de chien à convaincre Joe de lui faire confiance et d'accepter d'être entrainer à la boxe. Joe, à juste titre, se rend bien compte que l'ivrogne le voit comme juste une source de revenu ce qui est effectivement le cas. Du moins au début. En effet, c'est la vénalité du vieil homme qui va être le moteur de son intéret pour Joe. Mais parce qu'à la fois il devra prouver sa valeur et le convaincre, Tange va changer, arrêter de boire, retravailler et voudra davantage le bien être de son boxeur qu'autre chose. Or la boxe ne sera plus seulement un moyen de s'enrichir mais une façon d'aider Joe à s'accomplir. Sauf que ce dernier n'y croira pas comme ça. Sa vision négative des adultes est telle que rien de bons ne peut émaner d'eux. Ce qui va le convaincre d'écouter les conseils de son coach, ce n'est pas la confiance en ce vieil homme, mais une tout autre ambition liée à une rencontre qui va à elle seule commencer à changer Joe.

4ème regard : l'adversaire ou une haine aimante

Suite à des déboires dont je vous passe les détails, Joe va se retrouver dans une prison pour mineur, digne d'Alcatraz. Installée sur une île déserte, elle est ainsi isolée du monde, la connexion ne se faisant qu'une fois par jour par un bateau. Dans l'univers d'Ashita no Joe, il n'y a que peu de recours pour les enfants délinquants : voici le monde que les adultes offrent à Joe.

Face, aux autres jeunes de son âge, Joe va très vite montrer de quel bois il se chauffe et il va clairement dominer les autres par sa force brute. Tous, sauf un. En effet, Joe va devoir s'incliner contre un adversaire de taille, aux comportements irréprochables et n'attendant que sa sortie pour bonne conduite. Il s'appelle Tohru Rikiishi, un jeune espoir de la boxe. Cet adversaire qu'il n'arrive pas à dominer va le pousser à suivre les conseils du vieil Dampei par courrier et ainsi améliorer sa technique. Ceci va aboutir à un tournoi dans la prison qui va aussi motivée d'autres jeunes détenus. L'entrain et la détermination de Joe se propageant sur ces semblables. Au final, l'on assistera à la confrontation tant attendu entre Joe et Rikiishi qui se conclura par un match nul. Si au début ce dernier le prend pour un rigolo, il va petit à petit le prendre au sérieux. Il va ainsi sans cesse provoquer et taquiner Joe mais il va tout de même faire comprendre à ce dernier qu'il l'attendra sur le ring professionnel. Joe va ainsi décider de se tenir à carreau pour ne pas rallonger sa peine.

Ce que Rikiishi offre à Joe, c'est bien plus qu'une rivalité. En plus de le reconnaitre en un lieu (le ring) où il est attendu, il va tout sacrifier (nous verrons prochainement le poids de ce sacrifice) pour pouvoir combattre Joe. On peut même dire qu'il voit Joe comme son seul objectif. C'est justement cette façon de reconnaitre Joe et d'attiser en lui la flamme du désir, celle du combat, qui va le transformer. Son regard et ce qui s'y reflète est alors quelque chose de tout nouveau. Pour la première Joe cherche à se faire reconnaitre de quelqu'un et à montrer sa détermination. Réussir à se sentir digne aux yeux de ses adversaires et donc des siens va avoir pour effet de transformer toute sa haine en amour du ring et du combat. Le sourire aux lèvres et le regards tourné vers l'avenir Joe semble ainsi voir pour la première fois de sa vie, un demain. Ne vivant plus le jour au jour, il s'entraine et trouve un espace pour enfin exister et être reconnu et se reconnaitre dignement : le ring.

Boxer devient ainsi pour Joe une question de vie et de mort et ceci au sens précis que peut en donner la psychanalyse comme nous allons le voir dans le »prochain article. Nous verrons aussi quel est ce grand Autre auquel s'adresse Joe à travers tous ses combats et adversaires (les a' du schéma L) et quel est le moteur de son existence.

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