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Joe Yabuki : la rage de vivre à en mourir

Rédigé par J-C Dardart Aucun commentaire

Voici le troisième et avant dernier article sur Ashita no Joe. Nous avons commencé par une »présentation du jeune homme puis nous avons poursuivi sur »la question de ses regards. Pour poursuivre, nous aborderons la problématique cruciale de cette histoire : celle de la mort et de la perte. Ainsi que du rôle qu'y joue la fonction paternelle.

La perte : Mélancolie

Nous avons vu précédemment que Tohru Rikiishi avait radicalement changé la vie de Joe Yabuki. Et bien plus qu'un adversaire ce dernier a trouvé quelqu'un qui le reconnait et qui par désir de le combattre va faire un sacrifice de poids.

Le sacrifice d'un ami

Tohru dans son désir inflexible de retrouver Joe sur le ring va devoir changer de catégorie de poids. Il va devoir alors entamer un régime infernal pour combattre Joe qui est plus léger que lui. Un sacrifice se définit tout autant par l'objet du sacrifice (une partie de lui) que par son rituel (le régime inhumain). Ainsi ce qu'il accepte de perdre de lui en échange d'avoir le droit de combattre son ami, montre le lien qui unis les deux boxers. Ce désir ardent qui n'est pas dépourvu d'une dimension homosexuelle, Tohru, va le payer au prix fort.

Derrière cet amour de boxeur que lui porte son ami, se cache le destin funeste et dramatique de Joe. S'ils vont tous deux se retrouver en final dans un combat magistral et sans compromis, seul Joe bien qu'ayant perdu le match, va en rechaper. L'association d'un régime avec ce dernier combat, tous deux tout aussi violents, aura raison de la santé de Tohru qui tombe à terre pour ne plus jamais se relever. Et nous allons voir à quel point la destinée de Joe est ponctuée de perte et de culpabilité. Traumatisé, écœuré et profondément déprimé, Joe va rentrer dans une phase mélancolique de plusieurs mois. Tohru était après tout une raison de vivre pour Joe, et c'est ce lien très fort qui a justement entrainer la mort de son ami. Joe va alors fuir et errer dans la rue, reprenant sa vie d'antan. Son regard mélancolique étant à l'apogée, Joe tente de fuir ce souvenir le hantant en se laissant dérivant. Mais fuir physiquement ne permet pas d'échapper à la culpabilité et à la tristesse de perdre un être aimé, car ceux-ci sont à l'intérieur de lui.

La deuxième saison de l'adaptation animée commence dans ce contexte ( dans l'édition papier de Glénat ce moment de l'histoire correspond au tome 6, prévu en mars) où Joe fait son retour dans le monde de la boxe après des mois d'errance mélancolique. Retour bien difficile car Joe est toujours hanté par la culpabilité d'avoir tué son ami Tohru. De plus, il était sa raison de boxer, et Joe souffre alors de ne pas retrouver un combattant de la même trempe. Lui, même en perd son éclat de boxeur.

Carlos ou trouver l'objet c'est le retrouver

Joe va alors faire la rencontre d'un nouveau boxeur qui va lui rappeler Tohru. Cet homme ce nomme Carlos Rivera, il est le numéro 6 mondial. Très vite le style et la force de Carlos va ranimer la flamme de Joe. A travers lui il retrouve Tohru et les deux adversaires vont très vite se lier d'amitié. Leur combat sera d'autant plus titanesque.

Après ce combat, Carlos va avoir la chance d'affronter le champion du monde : José Mendoza. Persuadé de la victoire de son ami, Joe aura la mauvaise surprise d'apprendre qu'il a perdu dès le début du combat n'offrant que peu de résistance au numéro un des boxeurs. Comment a-t-il pu perdre si facilement ? Lui un homme si vaillant et un boxeur si puissant. De plus, Carlos a subit des dommage cérébraux irréversibles, ayant perdu l'esprit Carlos va alors disparaitre. Personne ne sachant plus où il est, Joe s'inquiète de la vulnérabilité extrême de son ami qui a perdu ses facultés intellectuelles. Notre héros est de plus persuadé que c'est à cause des dommages liés à leur combats violents et brutales que Carlos n'a pas pu tenir contre Mendoza. Il se sentira alors comme la cause des malheurs de son ami. Si Tohru Rikishii avait perdu son poids et sa vie, Carlos Rivera a perdu son esprit et s'est perdu en Amérique Latine ne laissant aucune trace. Nous avons là deux départs : l'un par la mort et l'autre géographiquement.

Si en trouvant Carlos, Joe retrouve Tohru, on peut penser que celui-ci n'est pas pour autant le premier objet d'amour perdu et qu'il est aussi un substitut de cet objet perdu. Joe est orphelin et l'on peut penser que cette perte reste active en lui sans qu'il en est conscience. En effet les pertes de ses deux amis réactivent la mélancolie de Joe et non pas uniquement du deuil. Mais pourquoi donc ?

Le Deuil impossible du mélancolique

Dans Deuil et Mélancolie (1915), Freud explique que la mélancolie est un deuil devenu pathologique car le sentiment de tristesse lié à la perte de l'objet aimé a envahi la personne si bien que c'est lui qui devient l'objet perdu en parti. Freud écrit alors, la phrase la plus célèbre de ce texte :

L'ombre de l'objet est tombée sur le moi.

Nous sommes dans un cas différent du Deuil, car dans la mélancolie les reproches adressés à l'objet perdu, sont inconscients et surtout dirigés contre le moi car celui-ci identifié à l'objet perdu. Il est à la fois aimé mais aussi haït car ce dernier l'a abandonné. S'identifier à l'objet perdu pour le sauvegarder en soi est un processus de deuil habituel. Cela devient problématique lorsque la relation à cet objet est trop ambivalent entre l'amour et la haine. Une certaine culpabilité ne sera pas alors étrangère au fait que les reproches se réadressent vers le moi. Et comme le sujet ne sait pas consciemment qu'il souffre de la perte de cet objet, le deuil ne peut pas se faire car l'objet du deuil est refoulé donc consciemment inconnu.

La pulsion de mort : Rage et masochisme primaire

Le travail du Deuil consiste à désinvestir de la libido (énergie sexuelle) de l'objet perdu. Mais dans le cas de la Mélancolie comme le Moi est identifié en partie avec l'objet, cette énergie est alors retiré du Moi. Ce qui domine alors c'est la pulsion de mort.

Dans "Au-delà du principe de plaisir" (1920), Freud introduit une nouvelle dualité pulsionnelle : pulsion de vie et pulsion de mort. La pulsion de vie inclut entre autre la pulsion sexuelle et celle d'auto-conservation et se définit selon le principe de la conservation de ce qui a été acquis mais aussi à son augmentation et évolution : comme le Eros dans Le Banquet de Platon . Tourné vers le lien à l'extérieur et l'intégration, son but est de constituer à chaque fois de plus grand ensembles. Ce mouvement crée de la tension et de excitation pour l'organisme. Si la pulsion de vie ne pousse pas l'individu à devenir trop gros c'est par l'action de la pulsion de mort qui tend vers l'état le plus simple et de moindre tension. La pulsion de mort à la capacité de détruire ce que lie la pulsion de vie. Ainsi, un équilibre se crée entre les deux pulsions par leur union ou intrication. Quand la pulsion de vie ne s'unit plus avec la pulsion de mort, celle-ci domine. On parle alors de désunion ou désintrication (selon la traduction) pulsionnelle. Le Moi du sujet perd de sa cohésion et tous ce qui a été lié, disparait.

Freud en 1924, dans "Le problème économique du masochisme" va mettre en avant un processus psychique qui a pour but de pallier à ce problème. Face à cet excès de pulsion de mort qui menace le Moi, l'auteur envisage 2 possibilités :

  1. La première est la dérivation de la pulsion de mort vers extérieur sous forme de décharge motrice et d'agressivité. Mais c'est une solution pas suffisante.
  2. Cette ultime solution c'est le masochisme primaire (à distinguer nettement du masochisme secondaire et du masochisme moral) qui est un investissement sexuel de la pulsion de mort dirigé vers le Moi. En sexualisant ce qui attaque et fait douleur au Moi, une union pulsionnelle entre pulsion de vie et de pulsion de mort devient alors possible. Cela permet alors de maintenir une cohésion du Moi qui n'est plus envahit par la pulsion de mort uniquement : le masochisme primaire est le « gardien de la vie psychique » (Rosemberg).

Les coups que donne Joe seraient alors une dérivation extérieure de la pulsion de mort puis dans un second temps en les encaissant, un moyen de maintenir son Moi. Mais dans son cas ce serait comme si cette sexualisation devenue trop intense viendrait bruler le Moi. C'est paradoxalement ce qui avait permis à sa vie psychique de se maintenir qui serait la cause de la mort de Joe. Tel en serait son paradoxe dramatique.

Voila ce que Joe déclare à la belle et sage Noriko qui est venue le supplier d'arrêter la boxe :

Profiter de la jeunesse ne signifie pas la même chose pour moi. Mais je la vis à ma façon : Je m’enflamme comme une torche, sur le ring, couvert de sang. Rien à voir avec des petits plaisirs sans vie, sans flammes. En un éclair je vois jaillir des étincelles incandescentes. Mais à la fin … il ne reste que de la cendre toute blanche. Ce n’est plus un morceau de braise, mais de la cendre … toute blanche.

» source

Bien évidemment dans cette réplique de Joe annonce son funeste destin. Dans son combat contre le terrible José Mendoza, notre héros succombera mais non sans lui régler son compte à la manière Yabuki : c'est à dire en lui laissant une trace indélébile.

Régler ses comptes avec le père

Le combat final va se dérouler contre le champion du monde : José Mendoza. Il représente le boxeur parfait tout aussi élégant, que très technique mais aussi avec une frappe extrêmement redoutable. Son style et son comportement incarnent parfaitement l'expression "le sport noble" pour désigner la boxe anglaise. Riche et raffiné, il est avant tout un père de famille aimant et marié à une femme de bonne éducation. Il pratique l'équitation et reste toujours digne. José Mendoza est le boxeur accompli et imbattable. Il est en sommes celui qui a réussi sa vie grâce à la boxe. Dans un monde idéal, son aujourd'hui serait le lendemain de Joe. Est-ce là un chemin possible pour Joe ? José serait-il un Joe de Demain anticipée et idéal ? On pourrait le penser d'autant plus que José proviendrait également des bidons villes. Cependant, l'auteur du manga en a décidé autrement.

Une origine similaire, une maitrise de la boxe supérieure, une vie réussie, il est également beaucoup plus vieux que Joe, sans compter une rouste que José lui a donné hors ring en un seul coup, voilà de quoi situer le champion du coté du père en tant qu'il représente un idéal, une image de puissance, de celui qui a le pouvoir, plus exactement le phallus.

En outre, Joe et José sont des prénoms proches. José étant la Forme espagnole de Joseph selon »cette source. Quant à Joe il est le est diminutif anglais de ce même prénom (»source). D'une certaine façon on peut emmètre l'hypothèse d'une filiation voulu consciemment ou nom par l'auteur du manga : ils sont tous deux les variantes d'un même prénom, d'une même famille étymologique. Avec de plus un ordre hiérarchisé du plus long ou plus court : Joseph>José>Joe.

Face à une image si écrasante, Joe va répondre par la haine et va régler symboliquement ses comptes avec ce père parfait dans un combat où chacun va y laisser des plumes : Joe va perdre la vie et José va connaitre là le plus grand soucis de sa vie.

Joe ne va pas perdre au KO. José va gagner aux points (et non au poing ?). Tandis que Joe se rassit dans son coin du ring pour s'éteindre doucement le sourire aux lèvres (voir l'image d'illustration au tout début de cet article) comme si enfin il avait accompli quelque chose d'important et atteint son but, le champion José n'en sort pas complètement indemne non plus. En effet, les spectateurs du combat remarque tout d'un coup que la chevelure brune du champion est passée subitement au blanc. Ressemblant à un vieillard, le combat avec ce fils symbolique rebelle, l'a fait vieillir d'un coup. Ne dit-on pas que les enfants accélèrent le vieillissement des parents ? Ou encore qu'un parent se fait des cheveux blancs à causes de ces enfants ?

Après ce n'est pas certain que ces expressions existent au Japon, mais force est de constater que Joe avant de succomber à su laisser sa trace sur ce père idéal avant de succomber. Quelque part son existence à pu se faire sentir aux yeux de ce père impossible : ce grand Autre.

Tohru représentait une première limite pour Joe (par exemple : Tohru arrêtant Joe dans une tentative de fuite de la prison pour mineur), ayant alors pour lui une fonction paternelle. Il a également reconnu Joe comme son égal et lui à donné un but. Incarnant une image paternelle motivante car pas impossible à atteindre. Mais il meurt par désir le combattre. Joe de cette manière réalise un désir Œdipien de tuer le père. Et la mort de son ami annonce aussi son futur. Carlos comme substitut de Tohru et qui va aussi se perdre va représenter aussi le futur de Joe : perdre contre José mais surtout Joe va avoir les mêmes symptômes de démence du boxeur que Carlos. Enfin José qui représente le grand Autre, un père impossible annonce le futur que n'aura jamais Joe.

Nous voyons là les variantes de la fonction paternelle où passant par Tohru, Carlos et les autres adversaires (les a' du schéma L du précèdent article), Joe va finalement adresser sa haine à qui de droit : ce père (le Grand Autre) qui l'aurait abandonné ?

Dans le prochain et dernier article nous aborderons cette dimension œdipienne à peine annoncer ici ainsi qu'un panorama des perspectives et questionnements que nous n'avons pas pu développer davantage.

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