Le non humain dans l'identité du sujet
Rédigé par J-C Dardart Aucun commentaireLa question de notre relation intime avec l'environnement non-humain, me passionne car elle permet, au contraire de ce qu'on pourrait croire, de mieux nous définir ou plus exactement de mieux nous dire. Si par ailleurs, j'ai abordé cette thématique sous l'angle de la dénégation (« ce n'est pas nous » pour dire « c'est nous »), j'aimerais pour cette fois montrer comment ce monde non-humain, et dans l'exemple que je vais prendre, le monde animal, agit dans notre identité et dans sa formulation : le fameux « dire qui je suis ».
S'il y a bien un auteur qui pris au sérieux la question du non humain, c'est bien Harold Searles dans son formidable L'environnement non Humain (publié en 1960), allant bien plus loin que d'affirmer que nous avons une relation intime avec le non humain, Searles en fait un élément primordial (sur le plan à la fois de la chronologie du sujet et sur ce qu'il y a de plus enfui en lui) de notre identité. Dans ce contexte le terme « relation intime » prend tout son sens. Mais pourtant son identité la plus brillante n'est pas là. En effet, il va tirer de ses réflexions et de son expérience clinique une conclusion plus que précieuse : Plus l'assise identitaire est mise en branle dans ce qu'elle a de fondamentale (dans le sens de ce qui fonde l'identité du sujet), plus la définition du sujet est restreinte et exclu le reste. Autrement dit, plus nous doutons de notre humanité, plus nous en faisons une définition limitée. Ce qui en est exclu est alors étiqueté comme inhumain (On peut faire un parallèle semblable avec la « folie » : plus le sentiment d'être sain d'esprit est fragilisé plus on inclus de choses dans « la folie ». C'est un éclairage fort instructif dans la question du normal et du pathologique et que les événements de la nuit sécuritaire nous ont pas manqué de rappeler). Pour ma part, j'ai toujours été étonné que ce qui était déclaré comme inhumain désignait des actes commis uniquement par les humains. Bien entendu ce n'est absolument pas un hasard et représente davantage un aménagement défensif sur lequel je reviendrais un jour et que j'appelle le «non-humainement humain» en référence à la notion d'inquiétante étrangeté ou étrangement familier (unheimliche) de Freud.
Dans son livre Searles nous explique que l'humain n'a pas toujours nier son substrat non humain et qu'au contraire dans le passé et même dans certaines sociétés tribales il n'est pas impensable que l'homme soit issu de l'animal ou de végétal. Il en va de même quant à un partage d'une même glaise liant humain et non humain. Ce qui se joue ainsi c'est une définition du sujet qui ne se borne pas à des critères biologiques ou purement formelles. Plus précisément le formel n'est pas chez les amazoniens par exemple quelque chose de fixe et d'emblée donnée pour s'arrêter là. L'apparence est prise dans une complexe expression symbolique et sociale. Ce que nous enseigne une culture en apparence éloignée ce que la question n'est pas tant de savoir « qu'est-ce que l'homme ?» mais plutôt comment « il se dit » et avec quoi.
C'est particulièrement clair lorsqu'on lit cet article intitulé « AMAZONIE,"TERRE DE VISIONS". SE FAIRE UNE PEAU D'ANACONDA OU L'ART DE LA PARURE. » (lien partagé sur Twitter par Elisa ). Dans ce texte passionnant (il est long mais il mérite franchement qu'on s'y attarde) sur les parures on apprend qu'en Amazonie on tire de l'animal des signes d'identités et de distinctions entre les humains ou groupes d'humains. Ainsi la question de l'identité n'est pas celle de la distinction entre l'humain et le non-humain mais un enjeu visant à distinguer les groupes d'humains entre eux. si l'identité est d'emblée poser comme groupale et inter-subjective, c'est surtout comme un discours sur l'identité du sujet que la « greffe animale » prend tout son sens :
Certains groupes s'ornent le corps en combinant, selon des règles savantes, jusqu'à une quarantaine de motifs géométriques distincts, tous nommés et reconnus . Des combinaisons de dessins et de couleurs constituent une signalétique sociale très précise.Ceci tient de la logique du signifiant et du langage. Puis plus loin :
En couvrant leur corps de plumes, hommes et femmes montrent qu'ils possèdent des aptitudes à la conjugalité ou à la «parentalité» telles que certains oiseaux les manifestent.
Nous assistons ici à une figure de langage : une caractéristique pour une autre : en psychanalyse on appelle ce processus le déplacement (métonymie chez Lacan) : c'est la plume de l'oiseau qui va signifier l'aptitude à la parentalité. Dès lors l'identité se définit a partir d'agencements et de combinaisons empruntés aux animaux. les greffes non humaines sont d'autant de façon de dire le sujet : leurs combinaisons définissant tel sujet plutôt qu'un autre :
Car au-delà du message esthétique - intimement lié, cependant, à la notion d'efficacité - se «lit» un langage métaphorique d'une grande complexité. Le choix des couleurs est tout sauf innocent. […] Le corps n’est donc pas une forme stable propre à une espèce particulière,mais l’expression d’un rapport entre semblables :il constitue un « habit d’espèces » composé de marques d’identité et de marques de dispositions relationnelles. il n’est pas donné mais produit ,fabriqué par le travail parental. le résultat est condensé dans les parures et les ornements.
Plus près de nous pensons à l'efficacité des fables de La Fontaine : on se révèle plus à travers le déguisement. Naïvement on pourrait penser que les contes mettant en scènes des animaux ont ce succès auprès des enfant car étant « mignons » il est plus facile de s'y identifier mais en fait c'est par leurs forces métaphoriques que se définissent leurs qualités signifiantes.